La « faîtière », un helvétisme architectural
Dans le domaine administratif et le contexte des organisations, j’ai toujours trouvé l’adjectif « faîtier / faîtière » assez étrange, voir obscur, certainement parce que je n’avais jamais vraiment compris ce qu’il signifiait ni, surtout, d’où il venait. Pour lever le voile sur son sens et son origine, j’ai donc ouvert mes précieux dictionnaires.
C’est pourtant assez évident : l’adjectif « faîtier/faîtière » est dérivé du substantif « faîte », qui désigne la partie la plus haute de quelque chose. À l’origine, il était employé spécifiquement dans le domaine de l’architecture pour désigner des éléments appartenant à la partie supérieure de la charpente d’un édifice. Selon le Trésor de la langue française informatisé (TLFi), il serait issu du vieux français « festiere » (XIIIe siècle), qui désignait une « tuile à demi-canal qui recouvr[ait] le faîte d’un toit ». Puis l’adjectif « faistiere » a fait son apparition dans des sources écrites au XVIIe siècle, associé au mot « lucarne », pour désigner une « lucarne pratiquée dans le toit pour éclairer l’espace qui s’étend sous le comble ».
Dans le contexte qui nous intéresse, celui des organisations, à la fois le Grand Robert et le TLFi définissent « faîtier / faîtière » comme désignant une organisation ou une institution « centrale »… Je ne vous cache pas que cette définition m’a semblé un peu courte et peu claire, notamment en raison de la polysémie de l’adjectif « central ». C’est là qu’entre en jeu l’étymologie de « faîtier / faîtière », que nous venons de découvrir, et qui nous éclaire sur son sens. Une organisation faîtière, ou plus simplement une faîtière – l’adjectif pouvant aussi être employé comme substantif – est ainsi une organisation principale dans un domaine, un secteur, un corps de métier, etc., qui en « recouvre », ou en réunit plusieurs autres de moindre importance ou de moindre ampleur. Souvent, elle est même à la tête de ces associations plus modestes et les chapeaute. Visuellement, si l’on imagine une maison, on peut facilement se représenter une association faîtière comme son toit, et les associations qui en sont membres comme en constituant les différentes pièces ou murs.
J’aime les mots qui, par analogie, sont employés pour désigner des phénomènes, des objets, des concepts appartenant à un tout autre domaine que celui auquel ils ont été empruntés, mais qui gardent un lien sémantique avec leur sens originel. Ce genre de nouvel emploi donne une couleur particulière aux mots, en met en évidence les caractéristiques et suscite souvent des représentations visuelles dans notre esprit, leur donnant ainsi un sens plus concret et plus précis. Après cette petite aventure linguistique, je me rends compte que je me suis attachée au mot « faîtière » et qu’il a pris corps, presque littéralement, puisque je peux maintenant me le représenter très concrètement.
Toutefois, à ma grande surprise, j’ai aussi pu constater qu’il s’agissait d’un helvétisme. Difficile de s’en apercevoir pour quelqu’un qui a toujours vécu en Suisse et qui lit ce terme partout, y compris dans des documents officiels de la Confédération. De nombreuses associations ou organisations en Suisse se présentent comme des faîtières, mot qui a bien entendu ses équivalents en allemand : « Dachverband » (association faîtière) ou « Dachorganisation » (organisation faîtière). Une rapide recherche sur Google en ciblant les pages françaises (.fr) me confirme que les associations faîtières ne sont pas légion en France. Certes, le terme apparaît sur certains sites, comme sur celui de l’association CADRes de Mulhouse, qui présente la Fédération des usagers de la bicyclette (FUB) comme son « association faîtière », mais vous en conviendrez certainement, cela reste un usage très marginal.
Alors comment nomme-t-on ces organisations principales dans l’Hexagone ? Le Grand Robert nous donne la réponse, puisque sous l’acception de « faîtière » qui nous intéresse, le dictionnaire nous renvoie au substantif « fédération », qu’il définit comme une « association de plusieurs sociétés, syndicats, etc. groupés sous une autorité commune ». C’est apparemment pareil en Belgique, puisque le nombre de résultats que nous donne Google pour « association faîtière » est encore moindre qu’en France. Ainsi, il semble bien qu’il n’y ait qu’en Suisse que l’emploi de l’adjectif ou du substantif « faîtière » dans le domaine associatif soit systématique.
Mais pas de sentimentalisme en traduction. En définitive, le terme adapté dépendra bien sûr du client et du public auquel le texte sera destiné. Il suffira bien souvent de copier le nom officiel de l’association concernée, qui aura généralement elle-même décidé si elle se considère comme une fédération ou une faîtière.