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Accélérer la vitesse de lecture audio : un exercice pour améliorer sa concentration et aller à l’essentiel

Sommaire

C’est dans ma nature, je m’efforce chaque jour d’apprendre de nouvelles choses et de m’exposer à des idées originales. Pour ce faire, je recours très souvent aux contenus audio, qu’ils se présentent sous forme de podcasts ou de vidéos. Si je lance parfois un épisode de podcast quand je fais la vaisselle ou descends étendre le linge – ça rend la tâche moins pénible – à d’autres moments, je m’installe confortablement devant mon écran, souris en main, prête à démarrer une vidéo avec la ferme intention de m’engager dans un effort actif pour prendre des notes, comprendre des concepts ou récolter des informations pertinentes dans un but précis. Hélas, j’ai une fâcheuse et improductive tendance à me laisser très aisément distraire lors d’activités d’écoute – je pense à mes projets, planifie ma semaine, navigue sur le web ou m’évade sur mon téléphone !

Pourquoi ? Parce que les produits audio reposent sur le langage oral, dont le rythme est par nature irrégulier. Bien souvent, les intervenants hésitent, marquent des pauses pour réfléchir aux mots qu’ils vont utiliser, répètent ou paraphrasent leurs propos, se corrigent, rient ou marquent des silences… Si, de surcroît, la langue dans laquelle ils s’expriment n’est pas leur langue maternelle, s’ils se sentent mal à l’aise à l’idée de parler devant une caméra ou un microphone qui réverbéreront leurs paroles jusqu’aux confins de notre univers digital, ou s’ils ont du mal à formuler leurs idées oralement, leur vitesse d’élocution peut être incommodément lente. Tous ces facteurs produisent des moments de latence – failles laissant à nos pensées et à des myriades d’autres distractions plus enthousiasmantes, quoique rarement utiles ou fécondes, le loisir de s’engouffrer pour venir susurrer des mots tendres à nos oreilles alertes et séduire notre attention par leur berçante rengaine.

Résultat : je perds le fil de ce qui a été dit et je dois revenir en arrière pour réécouter ce que je n’ai, en définitive, pas enregistré. C’est agaçant, c’est pénible, c’est gaspiller mon temps !

Comment alors éviter cette dispersion de l’attention pour rester concentrée de manière soutenue sur un podcast ou une vidéo ?

Les deux sources de la concentration

Il existe deux façons de focaliser notre attention sur une tâche précise :

1. L’effort volontaire focalisé

L’intensité et la durée de notre concentration reposent dans ce cas entièrement sur un effort conscient, contrôlé par notre propre volonté et nos objectifs. Notre capacité à focaliser notre attention dépend uniquement de notre cognition : c’est ce qu’on appelle, en psychologie, la composante endogène de l’attention.1

2. La manipulation de facteurs exogènes

Il est également possible d’organiser, de façonner et de structurer, au préalable, des éléments ou des paramètres externes à notre propre cognition pour faciliter notre concentration ou faire en sorte qu’ils capturent notre attention plus aisément. En modifiant certaines variables, nous pouvons réduire l’effort volontaire que nous devons déployer pour maintenir notre attention sur l’activité en cours. Deux types de facteurs peuvent être manipulés :

  • notre environnement, ce qui suppose généralement d’éliminer les distractions (par exemple en laissant notre téléphone en mode avion dans une autre pièce) ;
  • les paramètres de la tâche à exécuter pour la rendre plus attrayante ou plus exigeante.

Ce dernier point peut paraître contre-intuitif. Plus une activité est complexe, plus les ressources attentionnelles qu’elle nous demande de mobiliser sont importantes, et plus nous nous concentrons. Car nous ajustons automatiquement notre niveau de concentration pour répondre aux exigences de la tâche qui se présente à nous. Si celle-ci ne requiert que peu d’attention, alors, conformément à la grande maîtresse de nos comportements, la si consternante, mais encore jamais détrônée « loi du moindre effort », nous ne déploierons que les efforts minimaux nécessaires pour en venir à bout.

Augmenter la vitesse de lecture pour mieux se concentrer

Dans le cas des contenus audio ou vidéo, ce qui compromet notre capacité à nous concentrer, ce sont les pauses, les silences, le rythme démesurément lent de l’élocution, les répétitions, les éléments déjà connus, intuitifs ou peu pertinents par rapport à l’objectif que nous nous sommes fixé : apprendre quelque chose et enregistrer les informations nouvelles.

Heureusement, il existe un moyen d’effacer, ou tout du moins de limer ces défauts pour complexifier une activité d’écoute et la rendre plus exigeante sur le plan cognitif : accroître la vitesse de lecture. Sur la plupart des plateformes audio et vidéo, celle-ci peut être ajustée par multiples de 0,5 et peut généralement être au moins doublée.

Pourquoi se compliquer la tâche ?

1. Tri des informations facilité

S’il y a bien une compétence que cette pratique m’a permis de considérablement améliorer, c’est celle de savoir faire le tri dans les informations ingérées, de savoir séparer l’essentiel et l’à-propos du trivial, du commun et de l’inutile. Lorsque je prends des notes durant un cours ou en écoutant une vidéo, j’ai une insupportable tendance à tout vouloir noter, sans distinction de besoin ou de pertinence, par peur de manquer une étape de la réflexion ou une notion cruciale. Mais quand la vitesse d’élocution est accélérée, impossible, à moins d’avoir dix bras droits – eh oui, droitière je suis, donc dix bras gauches ne m’avanceraient pas plus… Pas d’autre choix alors que d’aller à l’essentiel.

L’augmentation de la vitesse nous aide à mieux repérer les informations nouvelles ou importantes, car notre cerveau traitera aisément les données déjà connues, les raisonnements intuitifs, les aspects triviaux, même à un débit de parole élevé, alors qu’il peinera à saisir ou à suivre les parties plus complexes. C’est un bon indicateur pour repérer les points qui méritent notre attention. Quant aux passages les plus essentiels, ils seront plus prégnants, car seules les informations cruciales se détacheront nettement lors d’un effort de remémoration.

2. Moins de place pour les distractions

Comme dit plus haut, puisque la tâche, rendue plus complexe par la fréquence à laquelle les nouveaux stimuli (les sons) nous assaillent, capture de manière soutenue et répétée notre attention, celle-ci n’a pas d’autre choix que d’être tout à son affaire : elle est pleinement « concentrée » sur l’activité présente. Ainsi, point d’occasion – vide, silence, lenteur – de nous laisser distraire, et moins de chances de manquer des informations importantes et de devoir revenir en arrière.

3. Expérience plus agréable

Ça semble paradoxal… Comment une tâche qui nous demande plus d’efforts peut être en même temps plus plaisante ? Pour qui n’en a jamais fait l’expérience, c’est une idée qui paraît pour le moins incongrue, mais qui a pourtant été largement étudiée. Plus notre concentration sur une activité est élevée et exempte de distractions, plus l’expérience est ressentie comme agréable : c’est ce qu’on appelle, en psychologie, le « flow », ou la « zone » (à ce sujet, je vous recommande l’excellent livre de Mihaly Csikszentmihalyi, Flow : The secret to Optimal Performance2).

Entrer dans cette zone de concentration intense, où notre attention tout entière est focalisée sur l’ouvrage en cours, c’est effacer, pour quelques minutes, voire quelques heures, toute pensée, toute considération, toute émotion qui ne soit pas directement liée à l’activité qui nous occupe. La notion de « temps qui passe » s’effrite pour nous permettre de vivre pleinement le moment présent : aucune place n’est laissée aux interprétations nocives ou déroutantes que nous formons malgré nous au quotidien, aux regrets ou aux remords, aux inquiétudes et aux doutes, aux réflexions stériles sur notre passé ou notre futur. Notre concentration intense érige un rempart contre nos émotions, qui ne parviennent à tailler aucune brèche dans notre bulle attentionnelle pour prendre le pas sur notre expérience. Pour moi, les situations les plus frustrantes, les plus ennuyantes, les plus intenables sont celles où je me mets à l’ouvrage à reculons ou en traînant des pattes, où j’essaye d’échapper à la tâche que j’ai devant moi par injections de dopamine intercalées à tout-va – ah… le pouvoir débilitant de la gratification immédiate !

4. Gain de temps

Enfin, n’oublions pas l’aspect le plus trivial : accélérer une vidéo ou un podcast nous fait gagner du temps. Je considère mon temps comme ma ressource la plus précieuse. Si donc j’ai à ma disposition un moyen d’aller à l’essentiel et d’obtenir l’information qu’il me faut plus rapidement, je veux m’en servir, même si cela m’oblige à déployer davantage d’efforts.

Ainsi même si nous devons consacrer plus de ressources cognitives à une activité d’écoute lorsque la vitesse de lecture est multipliée, nous pouvons la mener à bien plus rapidement tout en jouissant d’une expérience plus agréable et ô combien satisfaisante !

Quand faire appel à cette technique ?

Même si c’est un outil utile, il peut pourtant se révéler contre-productif dans certaines situations et en fonction du but. Comme toujours, le contexte est maître, la technique sa servante.

Alors, quand vaut-il la peine d’augmenter la vitesse de lecture ?

  1. Lorsque la vidéo ou le podcast traite d’un sujet qui nous est familier ou sur lequel nous possédons déjà quelques notions.
  2. Lorsque le contenu informationnel n’est ni trop dense ni trop complexe, qu’il y a beaucoup de répétitions ou que le rythme d’élocution est lent.
  3. Lorsque nous nous intéressons aux grands principes ou aux idées générales présentées et non à ses détails.
  4. Lorsque nous voulons prendre des notes uniquement sur certaines parties ou aspects bien précis d’une vidéo ou d’un podcast.

À l’inverse, si le contenu est entièrement nouveau ou particulièrement ardu, évitez cette méthode.

Comment l’utiliser ?

Vitesse de lecture
  • D’après une étude menée en 2018 par l’Université de Washington, les anglophones sont capables d’écouter, de traiter et de comprendre en moyenne 309 mots par minute, soit environ le double de la vitesse d’élocution d’une Américaine lambda parlant anglais (qui prononce entre 120 à 180 mots par minute).3 Bien que l’accélération idéale dépende très certainement de la structure de la langue (le rythme moyen naturel d’élocution en français est probablement différent de celui de l’anglais), de mon expérience, il est tout à fait possible de suivre une vidéo ou un podcast soumis à une accélération de x1,5 à x2, en fonction du locuteur et du thème abordé. Il faut aussi garder à l’esprit que la vitesse de lecture audio peut être augmentée avec le temps au fur et à mesure de notre pratique. L’habitude renforce notre capacité d’écoute et de concentration.
  • La vitesse idéale pour une concentration optimale est la vitesse limite au-delà de laquelle nous n’arriverions plus à suivre, à traiter et à comprendre le propos. Elle ne doit pas être confortable ou agréable : souvenez-vous, pour que notre attention puisse être consacrée tout entière à la tâche en cours, nous voulons diriger la quasi-totalité de nos ressources attentionnelles sur l’écoute et ne laisser aucune place à de quelconques distractions. Si vous n’avez pas l’habitude des débits de parole accélérés, ou si c’est la première fois que vous essayez, commencer par une vitesse de x1,25 (si possible), puis augmentez marginalement et progressivement jusqu’à trouver le point de friction. Si vous êtes capable de penser à autre chose en même temps que vous écoutez ou de laisser votre esprit dériver vers quelque île plus hospitalière, c’est que vous pouvez encore accélérer votre contenu audio.
Prise de notes

En fonction de votre objectif, du type d’informations que vous recherchez et de la complexité du sujet traité, différentes options s’offrent à vous :

  • Vous pouvez écouter la totalité de la vidéo ou du podcast en vitesse accélérée sans interruption et prendre des notes uniquement à la fin. Cette méthode convient si vous vous intéressez aux points essentiels ou aux principes généraux exposés dans l’audio et non aux détails. Elle vous permet de résumer le contenu dans les grandes lignes et de faire ressortir les aspects cruciaux et les points d’inflexion d’une argumentation.
  • Vous pouvez aussi écouter le podcast en vitesse accélérée et ralentir la vidéo ou la mettre sur pause dès qu’un propos attire plus particulièrement votre attention. Il peut s’agir d’un passage plus difficile à saisir ou dont le contenu vous est tout à coup peu familier, ou encore d’un élément factuel inconnu, essentiel ou pertinent. Réduisez la vitesse de lecture pour vous permettre de noter ce qui vous semble pertinent ou cliquez sur « pause » si vous avez besoin de plus de temps pour mener une réflexion sur le point abordé ou en comprendre le raisonnement.

La concentration, ça s’entraîne

Pour nous, les spécialistes de la communication, qui effectuons à longueur de journée des opérations cognitives de haut vol et dont les activités nous demandent sans cesse de résoudre de nouveaux problèmes – qu’ils soient linguistiques, logiques, terminologiques… –, être à même de nous concentrer intensément est une compétence cruciale. Apprendre à ne pas nous laisser distraire par les stimuli qui nous entourent et nous inondent, à mener une tâche de bout en bout sans interruption ni perturbation est une nécessité.

Par chance, la capacité de concentration ne relève pas de l’inné, mais de l’acquis : ça s’entraîne, ça se renforce avec la pratique, ça s’enracine dans notre quotidien si nous la recherchons et la suscitons consciemment. Mais, comme toutes les habitudes, elle peut aussi s’éroder par manque de soin, d’autant plus que nous sommes, aujourd’hui plus que jamais, sans cesse harcelés par une multitude de stimuli insidieux qui, sous couvert de divertissements séduisants et affables, viennent nous détourner de nos objectifs et de toute expérience vraiment épanouissante. Toutes les occasions sont bonnes pour nous entraîner à résister aux distractions et à maîtriser notre attention. N’en manquons pas une !

Et vous, avez-vous déjà essayé d’accélérer la vitesse des vidéos ou des podcasts que vous écoutez ?

Sources:

1. Mossop, Brian (2019). Revising and Editing for Translators. Fourth Edition. Routledge : London, 302 p.

Mossop, Brian (2019). Revising and Editing for Translators. Fourth Edition.