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Sur la voie de la spécialisation :
une technique pour répertorier les compétences essentielles

Sommaire

Un de mes dadas en ce moment, c’est la spécialisation. Choisir un domaine, un étang parmi les mers, les lacs et les océans, y tremper timidement le bout des orteils, puis, frémissement après frémissement, le reste du corps, doucement en apprivoiser la fraîcheur, et y plonger enfin tout entière pour en explorer tous les recoins, m’immerger totalement pour en déceler tous les trésors ! L’ivresse d’apprivoiser progressivement un environnement nouveau, regorgeant de merveilles, frétillant de promesses, et l’espoir de la maîtrise au bout du chemin.

En traduction, comme dans de nombreux autres domaines, on est très vite incité à se spécialiser. Et si la nécessité de se spécialiser est tant mise en avant, c’est qu’elle offre – si bien menée – des atouts non négligeables aux traducteurs : un spécialiste peut offrir des prestations de haute qualité par sa connaissance du contexte, des concepts, de la terminologie et de la phraséologie d’un domaine, voire un service unique si son domaine est une niche très restreinte, proposer voire fixer unilatéralement des tarifs confortables, choisir ses clients et travailler sur des projets qui le passionnent vraiment. C’est en tout cas l’idée qui nous est vendue et c’est aussi une vision à laquelle je crois.

Mais le chemin qui mène à une spécialisation pertinente, qui réponde vraiment aux besoins du marché, n’est pas toujours limpide et bien tracé. Il ne suffit pas de maîtriser parfaitement un sujet pour se dire un traducteur spécialisé. Non seulement faut-il envoyer les bons signaux, réussir à démontrer son savoir-faire et être capable de se vendre, mais il faut en outre souvent acquérir des compétences auxiliaires attendues par le marché, et qui vont de pair avec le domaine de spécialité choisi.

Pour faire simple, imaginez un traducteur hautement spécialisé dans un domaine, mais qui n’utilise, ne maîtrise, ni ne connaît les outils d’aide à la traduction. Quelles sont ses chances de décrocher un mandat ? S’il recherche un poste fixe, il pourrait s’en sortir si l’organisme veut bien investir dans sa formation. En tant qu’indépendant toutefois, ses chances sont maigres. On privilégiera probablement un traducteur peut-être un peu moins spécialisé, mais qui saura se servir des outils de travail de l’organisme.

Bien entendu, aujourd’hui, la très grande majorité des traducteurs sont formés aux outils d’aide à la traduction et savent en utiliser au moins un. Mais cet exemple visait surtout à montrer ce que j’entends par « compétences auxiliaires » : des compétences qui ne sont pas nécessairement liées à la connaissance des concepts ou de la terminologie du domaine, mais qui découlent plutôt du contexte de travail et des besoins du marché.

Pour préparer un bon plan de spécialisation, il est donc essentiel de déterminer les compétences auxiliaires les plus demandées par les recruteurs dans le domaine visé.

Éplucher les offres d’emploi pour répertorier les compétences auxiliaires essentielles

Il existe évidemment plusieurs méthodes pour découvrir les compétences et les connaissances les plus recherchées dans un domaine et toutes peuvent – et devraient – être combinées pour obtenir l’aperçu le plus exhaustif et précis possible. Mais dans cet article, je ne vous présenterai que la méthode des offres d’emploi, qui ne demande que peu de temps et d’énergie et qui me semble être une excellente base pour opérer un premier débroussaillage et vous faire une idée générale des compétences qu’il vous faudra sans doute acquérir pour vous créer un profil complet de spécialiste.

Les offres d’emploi sont une vraie mine d’informations et recèlent des gemmes inestimables qui – si dénichées – nous permettent de saisir les attentes et besoins du marché. En recherchant les offres publiées dans le domaine visé et en étudiant en particulier les sections qui détaillent le profil souhaité et les tâches à accomplir, vous pourrez vous faire une idée assez précise des compétences essentielles et des atouts que vous pourriez éventuellement apporter dans votre niche.

Bien entendu, il ne s’agit pas d’acquérir la totalité des compétences répertoriées, mais il vaut la peine de repérer celles qui sont presque systématiquement exigées ou vivement souhaitées, ce que j’appelle les « compétences essentielles », ainsi que celles qui ne sont pas fondamentales, mais qui pourraient se révéler être des atouts. Les premières devraient être acquises coûte que coûte. Quant aux secondes, il pourrait être judicieux d’en acquérir au moins une pour marquer votre différence et apporter une valeur ajoutée que d’autres ne sauront fournir.

Pour illustrer cette démarche, je vous propose un exemple avec la spécialisation que je suis en train de forger : la traduction dans le domaine de la chaîne de blocs.

Étape 1 : la recherche des offres d’emploi
  • Pensez à rechercher les offres d’emploi dans plusieurs langues, puisque les compétences demandées sont souvent identiques, peu importe les combinaisons de langues recherchées.
  • Utilisez différents mots clés, des plus généraux aux plus spécifiques, pour faire le tour de votre niche. Voici par exemple un extrait des mots clés que j’ai utilisés pour ma recherche :
    • blockchain translator job
    • blockchain french translator job
    • crypto translator job
    • traducteur job blockchain
    • traducteur emploi blockchain
    • fintech translator job
  • Effectuez non seulement vos recherches sur les moteurs de recherche traditionnels, mais pensez également à écumer les réseaux sociaux comme LinkedIn, les portails de recherche d’emploi, les plateformes pour indépendants ou les forums consacrés à votre domaine ou à votre profession.
Étape 2 : l’analyse des offres

Il faut ensuite trier les informations pour repérer les compétences les plus demandées et celles qui pourraient vous offrir un avantage.

Voici quelques-uns des résultats de ma recherche :








Deux exigences ressortent nettement de l’ensemble de ces annonces :

  • des compétences avérées en localisation et en SEO ;
  • des connaissances des bonnes pratiques en expérience utilisateur (UX) et des outils de traduction et de localisation des chaînes (strings) pour les interfaces utilisateur (UI) d’applications.

J’ai donc tout intérêt à me former en localisation, notamment de sites web et d’applications – et c’est bien ce que je compte faire.

Accessoirement, on constate que les employeurs ou recruteurs recherchent parfois des traducteurs qui disposent également de compétences en marketing, notamment en réaction publicitaire ou web. Même si elles représenteraient très certainement un atout, ces compétences sont aussi très spécifiques et relativement éloignées de la traduction, de sorte que je ne puisse concevoir de les acquérir sans poursuivre une nouvelle formation de longue haleine et approfondie pour parvenir à proposer des prestations de qualité. Compte tenu du fait que dans la majorité des annonces, ce savoir-faire n’est pas exigé, et qu’il me demanderait un investissement très important en temps, j’estime qu’il ne vaut pas la peine que je m’attarde sur ce point, tout du moins pour l’instant.

Les offres d’emploi peuvent aussi nous fournir des informations sur les logiciels les plus utilisés dans le domaine choisi. Par exemple, dans le cas de ma recherche, j’observe qu’une annonce demande une familiarité avec les plateformes de gestion de localisation de projets Crowdin et Smartling, que je ne connais pas du tout. Je ferais bien, lorsque je me plongerai dans l’apprentissage de la localisation, de découvrir au moins un de ces systèmes pour avoir une idée générale de son fonctionnement. Il n’est sans doute pas nécessaire de tous les connaître, mais apprendre les bases du fonctionnement d’un outil me permettra sans doute de m’adapter plus rapidement aux autres.

Je constate aussi que certains recruteurs demandent de connaître des outils comme Slack et Gitlab, ou Trello et Microsoft Teams. Dans ce dernier cas, les connaissances relèvent simplement des fondamentaux, donc même si je n’ai presque jamais touché à ces applications, je sais qu’elles sont faciles à prendre en main, qu’on trouve aisément beaucoup d’informations à leur sujet sur internet et que je pourrai apprendre sur le tas si nécessaire. Il ne serait pas utile de les inclure dans mon plan de spécialisation. En ce qui concerne Slack et Gitlab, je connais un peu Slack et je sais que Gitlab est très utilisé par les développeurs. Là aussi, je ne pense pas que ce soit une priorité. Si je vois ces applications mentionnées dans une annonce à laquelle je souhaite postuler, je pourrai prendre une heure pour me renseigner sur ces outils, mais à nouveau, il n’est probablement pas indispensable de les connaître.

Quelques indices me laissent en outre penser que certains recruteurs, dans le domaine de la chaîne de blocs, souhaiteraient pouvoir payer en cryptomonnaies les traducteurs à qui ils proposent des mandats. Un traducteur qui accepte ce type de rémunération serait sans doute bien avisé de mettre en avant ce mode de paiement dans ses offres de prestations. Je suppose que ce type de rémunération est probablement confiné à cette niche pour le moment, mais je peux imaginer que dans d’autres domaines de spécialisation, certains recruteurs puissent proposer des formes de rémunération pour les indépendants sous forme d’actions (de parts dans l’entreprise) ou d’autres options. À garder en tête donc : accepter ce type d’avantages peut aussi vous donner une longueur d’avance.

Enfin, les offres d’emploi vous renseignent également sur le type et le genre de textes qui font le plus fréquemment l’objet de traductions dans le domaine de spécialité choisi. Cette information vous permet de vous concentrer sur l’étude de quelques types et genres de documents pour apprendre à en maîtriser les codes rédactionnels dans votre langue cible.

Les voies de la spécialisation sont certes sinueuses et multiples, mais lorsqu’on ne sait plus où donner de la tête et qu’on a du mal à faire le tri entre toutes les informations que l’on reçoit, recourir à une approche plus systématique peut nous aider à éclairer notre chemin. La technique que je viens de présenter constitue une bonne façon de se construire une vue d’ensemble des attentes et besoins du marché dans un domaine de spécialité pour éviter de se laisser happer par des détails parfois inutiles.

Et vous, quelles compétences essentielles devriez-vous acquérir pour vous spécialiser dans votre domaine de prédilection ?