Enseignement et diversité des normes linguistiques prescrites : une occasion à saisir pour les étudiants
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Quatre cours de traduction dans la même semaine, quatre professeurs différents, et autant d’ensembles de règles qui tantôt nous interpellent, tantôt nous frustrent, voire nous offusquent par leur caractère, semble-t-il parfois, bien arbitraire. Entre incohérences et variations des normes linguistiques que nous imposent nos professeurs, comment nous y retrouver et naviguer en eaux sûres ? Pas de panique ! C’est une situation probablement inévitable, mais surtout souhaitable… Eh oui, c’est l’occasion rêvée d’acquérir deux compétences qui sont indispensables dans notre pratique professionnelle : la flexibilité et la capacité d’adaptation.
S’il y a bien un sujet de plainte qui revient sans cesse sur le tapis parmi les étudiants en traduction, c’est celui de la diversité, voire de l’incohérence, des normes et conventions linguistiques imposées, explicitement ou implicitement, par leurs différents professeurs.
Mme X raye systématiquement toute occurrence de « et ce » dans les copies qu’elle corrige, alors que Mme Z accepte cet usage sans sourciller.
M. Y ne veut pas entendre parler de la réforme de l’orthographe – « l’orthographe rectifiée, c’est bon pour les bancs d’école ou ceux qui ne font pas de la maîtrise de la langue leur métier… Vous, vous êtes des professionnels de la langue, la réforme, ça ne vous concerne pas » – pourtant tolérée par tous les autres (d’ailleurs bientôt officiellement enseignée à l’école en Suisse romande).
Mme Z exclut tout emploi du pronom « on » – « car il est toujours possible de formuler la phrase différemment ! » –, mais c’est bel et bien un mot de la langue française que l’on trouve dans toutes les grammaires. Son utilisation est peut-être délicate suivant le contexte et les autres professeurs n’ont sans doute pas manqué de vous rendre attentif à ses écueils, mais de là à l’éradiquer complètement…
Au cours de mes études, j’ai moi aussi eu affaire aux méandres linguistiques et normatifs de mes professeurs de traduction. J’ai suivi, une année durant, les cours d’une enseignante dont l’approche de la traduction était assez littérale : si un mot, une expression, une phrase peuvent être traduits littéralement en français sans que la grammaire s’en trouve malmenée et l’oreille choquée, pourquoi changer l’ordre des mots et s’efforcer de trouver d’autres formulations ? Elle avait en outre un fort penchant pour les formules ramassées et les phrases courtes – pourquoi utiliser « accompagné de » lorsqu’on peut dire « avec » ? Tout l’inverse de mon style naturel.
Durant les premières semaines, voire les premiers mois, je m’obstinais, sans doute inconsciemment, à conserver ma façon d’écrire, plus étoffée, plus foisonnante, parsemée de synonymes ou d’expressions un peu plus recherchés qu’une traduction littérale ne me l’aurait permis, ce qui me valait régulièrement des corrections ou des remarques dubitatives de ma professeure. Avec le recul, je dois admettre que mon style me poussait parfois à la surtraduction ou m’amenait à faire des glissements de sens. Mais objectivement, il s’agissait quelquefois d’ajouts de connecteurs qui permettaient de rendre plus évident le fil logique du discours ou d’expressions auxquelles je recourais pour contourner un enchaînement disgracieux de prépositions – ce qu’il me semble difficile de considérer comme réellement fautif si l’on vise la clarté et la fluidité.
Au fil des semaines, toutefois, j’ai pris conscience des attentes de ma professeure et ai délibérément adapté mon style d’écriture pour qu’il corresponde plus au sien. Sans grande surprise, mes notes ont soudainement pris l’ascenseur.
Cet exemple illustre bien le fait que, peu importe que nous soyons d’accord ou non avec les habitudes ou manies, parfois arbitraires, de l’un ou l’autre de nos professeurs, nous n’avons pas vraiment d’autres choix que de nous y plier, sous peine de voir de précieux points nous échapper au moment des examens (qui ne méritent pourtant pas toujours toute l’attention que nous voulons bien leur accorder).
Avec mes jeunes années d’expérience – je traduis professionnellement depuis août 2018 – et une dose appropriée de recul, je me suis aperçue que cette situation était non seulement inévitable, mais aussi tout à fait souhaitable pour la formation des traductrices et traducteurs. Voici pourquoi.
La langue, un espace mouvant sans frontières nettes
La définition, consciente ou inconsciente, par nos professeurs d’un ensemble de normes linguistiques propre à chacun d’eux, et dont certains éléments peuvent être tout bonnement contradictoires avec ceux appliqués par leurs collègues, n’est dans la plupart des cas pas un caprice ni une expression de sadisme de leur part – un trait de personnalité dont les étudiants aiment bien souvent les affubler –, mais c’est une particularité inhérente à l’enseignement de la traduction.
Traduction, variation linguistique et subjectivité
En effet, la traduction et le maniement de la langue sont des pratiques dont les principes ne reposent pas sur des sciences exactes. Autrement dit, la traduction et la communication n’obéissent pas, tout du moins dans la majorité des cas, à des règles déterministes, ni même probabilistes. L’usage que nous faisons de la langue et le processus de traduction ne produisent pas des résultats mesurables ou quantifiables de façon objective et absolue. Ce sont des actes qui revêtent inévitablement un caractère subjectif, même si ce n’est que partiellement.
Si nous nous concentrons un instant plus spécifiquement sur les usages de la langue, il nous faut admettre qu’ils sont au moins aussi variés qu’il y a de personnes sur terre. Notre manière de nous exprimer est influencée par de très nombreux facteurs, tels que notre milieu socioprofessionnel, notre vécu, notre éducation, nos lectures, notre environnement culturel et social, notre sensibilité et le contexte de communication. Facteurs qui sont du reste étudiés par différents domaines de la linguistique (sociolinguistique, pragmatique, psycholinguistique, etc.). L’imbrication complexe et la nature non quantifiable de toutes ces influences expliquent le caractère insaisissable des règles qui président à notre production linguistique.
Chaque personne a une façon de parler qui lui est propre. C’est d’ailleurs un des résultats que les professeurs de traduction aiment à mettre en avant auprès des jeunes pousses de traducteurs au début de leur cursus : lorsqu’on demande à une classe entière d’étudiants de traduire la même phrase, il n’y a presque jamais deux produits identiques. Il existe mille et une manières d’exprimer une même idée – cette quantité n’étant évidemment pas à prendre au premier degré…
Avec une telle diversité, on peut donc comprendre que les préférences linguistiques non seulement de nos professeurs, mais également de tout individu, qui sont ancrées dans un vécu particulier et bien souvent tout à fait inconscientes, puissent revêtir une part de subjectivité. Force est aussi d’admettre que, face à cette multiplicité d’usages et d’influences, les professeurs doivent sans cesse redéfinir ou réévaluer la limite entre l’acceptable et le non-acceptable dans une traduction, ce qui induit nécessairement des variations.
Des gardiens du « bon usage » au pouvoir prescriptif limité
Bien entendu, il existe des outils qui permettent de déterminer, de façon prévisible, les règles à suivre et les normes à appliquer en toutes circonstances. La grammaire et les dictionnaires sont nos sauveurs, penseront peut-être les plus naïfs et les gardiens de la langue et du « bon usage » : ils offrent sans doute un répertoire de règles objectives qui dressent des barrières nettes et précises entre le juste et le faux.
Mais c’est oublier deux écueils de ces fameux outils, qui constituent assurément une aide précieuse, mais qui ne sont pas la panacée – bien s’en faut.
D’une part, la grammaire et les dictionnaires ne couvrent qu’une partie restreinte des faits de langue. Certes, ils régissent la syntaxe, les temps verbaux, l’usage des prépositions et des conjonctions pour la première, et le sens des mots et l’orthographe pour les seconds. Mais quid des connotations, de l’implicite, de l’influence du contexte de production, de la prise en compte du destinataire, de l’idiomaticité et de la fluidité ? Il y a certainement des principes généraux qui peuvent servir de guides ou d’orientations dans ces domaines, mais pas de lois nettes et tranchées qui puissent être appliquées dans tous les cas.
Deuxièmement, c’est oublier que seul un sous-ensemble limité des règles de grammaire et des définitions proposées par les dictionnaires, ce qu’on appelle le « bon usage », est reconnu comme correct et appliqué par l’intégralité des locutrices et locuteurs d’une langue. En effet, il existe une multitude de dictionnaires qui présentent des mots, des définitions, des nuances ou des orthographes qui ne se recoupent et ne coïncident jamais totalement. Et même lorsque nous parlons des règles de la grammaire, nous devrions en réalité parler DES grammaires… Le lexique, les usages, les collocations et la grammaire peuvent varier en fonction des pays, voire des régions d’une même aire linguistique.
C’est ainsi que l’Académie française se targue de dicter le bon usage en France, mais qu’au Canada, c’est à l’Office québécois de la langue française que revient cette tâche. Que dire ensuite de la Suisse et de la Belgique, où il n’existe aucune institution spécialisée chargée de définir et de fixer l’usage de la langue et où les variations linguistiques par rapport au « français de France » sont nettement perceptibles à qui tend un peu l’oreille ou ajuste ses lunettes. Sans oublier toutes les autres régions francophones de la planète. De la diversité des acteurs naît immanquablement une multiplicité d’usages.
Et si des institutions, telles que celles mentionnées plus haut, sont reconnues par les systèmes éducatifs et les gouvernements des pays pour lesquels elles sont censées réglementer l’usage du français, ce n’est pas dire que les normes qu’elles prônent sont universellement acceptées, employées et admises comme telles. Ces institutions ont pour mission d’établir ce qu’elles considèrent être « LE bon usage », soit un usage codifié, figé, qui n’englobe pas l’ensemble des usages de la langue réellement observés à un moment donné. Or s’il est en effet utile de disposer de règles claires et précises sur ce qui relève du bon usage afin de préserver la cohérence de la langue et sa fonction communicative – si chacun recourt à une langue différente, sans mettre pied sur terrain commun, comment se parler et se comprendre ? –, il ne faut pas oublier que la langue évolue sans cesse et qu’une partie de ces évolutions vient plus tard alimenter le fameux « bon usage ». Mais l’usage se transformant dans la pratique plus vite qu’il ne peut s’immiscer dans les ouvrages de référence, il nous appartient à nous, traductrices et traducteurs, en tant que spécialistes de la communication, de prendre en compte ces variations et de déterminer par nous-mêmes, avant toute normalisation, ce qui est acceptable et souhaitable dans un contexte donné pour garantir que le message atteigne sa cible.
Ajoutons encore que les usages recommandés ne sont, comme leur qualificatif l’indique, que des recommandations… Si un journal décide de ne pas respecter certaines des règles énoncées et d’appliquer d’autres conventions, point de procès. Juste le risque qu’une poignée de lecteurs effarouchés boude la publication, ou que le message envoyé se perde dans un puits sans fond sans avoir croisé la moindre âme sur son chemin, mais à part cela, bien peu de mal.
Aussi, nous sommes peut-être un peu hypocrites lorsque nous nous livrons à une critique véhémente de nos professeurs et de leurs préférences, car nous avons tous une sensibilité qui nous est propre en matière de langue et nous reconnaissons tous un « bon usage » qui ne se recoupe que partiellement avec celui des autres, en fonction de notre ancrage géographique et de notre éducation.
Des professeurs en proie à l’arbitraire de la langue
Sans compter que pour les professeurs de traduction s’ajoute encore à toutes ces couches celle de leur expérience professionnelle. En effet, souvent traducteurs parallèlement ou préalablement à leur activité d’enseignants, ils ont traduit, ou traduisent encore, des textes pour divers clients institutionnels ou privés, tels que des organisations internationales, des institutions publiques ou des entreprises, qui disposent tous de leurs propres conventions rédactionnelles et typographiques, de leur propre terminologie, et de leurs usages à bannir. C’est dire que chacun de nos professeurs a inévitablement « subi » une déformation professionnelle au cours de sa carrière – même s’il est probable que ce reformatage concerne plus particulièrement les traductrices et traducteurs employés par une seule et même institution plutôt que les indépendants, amenés à jongler avec les normes et les besoins de divers clients.
Bien entendu, on peut légitimement exiger d’une professeure qu’elle sache prendre du recul par rapport à sa pratique, qu’elle examine ses propres processus de traduction et ses automatismes langagiers plus attentivement que la moyenne, qu’elle soit plus consciente de ses faiblesses et de ses préférences que des traductrices qui n’enseigneraient pas, et qu’elle soit capable de justifier de manière très concrète et fondée ses corrections, les conventions qu’elle impose ou les erreurs qu’elle corrige. Mais nous ne pouvons pas lui reprocher de ne pas prescrire exactement les mêmes règles que les autres professeurs, parce que les contours de l’objectivité en matière de langue ne sont tout simplement pas précisément tracés et que les normes de référence, comme nous l’avons vu, sont diverses et ne se recoupent pas toujours. Ainsi, dans le domaine de la traduction, ce qui peut être considéré comme un argument objectif par une de vos professeures peut, à votre sens, revêtir un caractère bien plus arbitraire.
Évidemment, il faut toutefois admettre que les plaintes des étudiants à ce sujet sont avivées par le stress des examens et la peur d’échouer. Si nous ne respectons pas les règles « maison » de tel ou tel professeur, nous risquons bien de voir de précieux points nous échapper, et notre note s’en ressentira.
Mais est-ce là vraiment l’essentiel, obtenir de bonnes notes ? Nous devons certes réussir nos examens si nous voulons décrocher notre diplôme et être reconnus comme traductrices ou traducteurs professionnels, c’est entendu. Mais les études servent avant tout à apprendre à réfléchir comme un traducteur et à adopter les stratégies appropriées pour être efficaces dans notre pratique professionnelle. Ce qui compte, c’est l’apprentissage que nous retirons de notre formation ! Alors si nous perdons quelques points parce que nous n’avons pas appliqué la poignée de règles tarabiscotées d’un de nos professeurs, qu’importe. Ce ne sont pas nos compétences linguistiques ou rédactionnelles qui sont remises en cause, mais c’est notre capacité à respecter les règles (ou à écouter en cours, suivant le cas de figure) qui est jugée. Et si le seul misérable point qui nous manquait pour réussir notre examen s’est envolé à cause d’une erreur qui ne nous paraît pas justifiée, relevant plutôt d’une turlutaine du professeur que d’un critère objectif… alors peut-être vaudrait-il mieux recentrer notre attention sur nos autres erreurs, qui ont probablement réellement amoindri la qualité de notre traduction et sont sans doute beaucoup moins contestables.
Un foisonnement de normes, une occasion à saisir
Par ailleurs, si une telle multiplicité de règles est, comme je viens de le défendre, inévitable, elle est aussi en réalité tout à fait souhaitable pour la formation des traductrices et traducteurs. Cette variation devrait être envisagée comme un entraînement en vue de votre future pratique professionnelle, qui vous permettra de développer deux compétences essentielles à l’exercice de cette profession : la flexibilité et la capacité d’adaptation.
Peu importe que vous vous vous orientiez vers une activité salariée ou indépendante, vous serez amené à traduire pour une multitude de clients différents tout au long de votre carrière. Si vous êtes salarié, vous ne resterez sans doute pas employé auprès de la même organisation durant toute votre carrière, et lorsque vous devrez changer, il vous faudra vous adapter à de nouvelles conventions et règles, cette fois-ci parfois bien plus subjectives que celles qui vous ont indigné lors de vos études, en plus de devoir peut-être vous conformer aux usages régionaux si vous partez à l’étranger. Une telle flexibilité et capacité à manier plusieurs ensembles de règles et de conventions est d’autant plus prononcée chez les traductrices indépendantes, qui doivent pouvoir passer sans accroc d’un code à un autre en fonction des normes que chaque cliente leur demande de respecter, et ce souvent dans une seule et même journée.
Et même si vous finissez par faire partie de cette minorité de traductrices qui, entamant leur carrière dans une institution, s’y plaisent tellement qu’elles s’y installent confortablement jusqu’à leur retraite, alors vous ne serez pas non plus épargnée par les variations d’usages et de conventions. En effet, vous serez sans doute révisée à l’interne, par d’autres traducteurs de l’équipe. Et aucun traducteur n’échappe à la règle, chacun a ses marottes et une façon de réviser qui lui est propre. Certains sont plus interventionnistes que d’autres et modifient tout ce qui leur passe par la tête en proposant des adaptations stylistiques à n’en plus finir, rendant votre traduction totalement méconnaissable. D’autres apportent des modifications discutables, voire introduisent ce qui peut vous sembler être des erreurs.
Il faut bien entendu garder en tête que les traducteurs internes ne sont pas des professeurs, que la plupart n’ont jamais suivi de formation en révision et n’ont qu’une idée plutôt vague de ce que devrait impliquer un tel travail, et qu’ils n’ont donc pas nécessairement l’habitude de prendre du recul par rapport aux changements qu’ils apportent à votre texte ou de bien pondérer la nécessité de modifier certains passages. Autant vous dire que les manies de vos professeurs peuvent faire bien pâle figure à côté des réviseuses exagérément interventionnistes, qui confondent selon toute vraisemblance leur tâche de révision avec un travail de traduction pure et simple ou qui se sentent obligées de corriger ce qui n’est pas nécessaire de l’être pour se débarrasser de l’inconfortable sensation d’être inutiles.
Enfin, imaginez que vous vous retrouviez dans une petite équipe, qui doit souvent s’accommoder de délais très courts et qui n’a pas le temps de s’entre-réviser. Dans ce cas, vos traductions seront alors certainement relues à l’interne. Même si vous travaillez pour une institution ou une organisation, vous serez sans doute amené à traduire des documents pour les différents services dont elle est composée, et chaque division ou secteur peut avoir ses propres conventions et usages, et chaque donneur d’ouvrage ses préférences. Peu importe vos arguments en faveur de la préservation de la langue française, si une cliente insiste pour que vous gardiez le terme anglais, alors même qu’un équivalent français est recommandé et reconnu par les ouvrages de référence et se rencontre fréquemment dans l’usage, vous ne pourrez probablement pas l’imposer.
Un changement de perspective salutaire
Dans mon cas, c’est durant le cours de traduction donné par ma professeure à l’approche littérale que j’ai eu le déclic. C’est sans doute le cours qui m’a le plus appris en matière d’adaptation et qui m’a poussée à adopter une nouvelle perspective sur ce qu’implique vraiment ma profession. La vision de cette professeure sur ce qu’était une bonne traduction, qui me semblait très singulière, m’a permis de me rendre compte qu’il ne s’agissait en réalité que de ses attentes à elles, et que mes futurs clients en auraient eux aussi, et probablement d’encore plus farfelues. Dès lors, ma perspective sur mon travail et ma manière de traduire ont changé, passant d’une approche plutôt centrée sur mes propres besoins et ma sensibilité linguistique à une démarche plus axée sur les attentes et les conventions de mes professeurs, en imaginant qu’un tel exercice et une telle flexibilité seraient un atout et une compétence essentiels pour ma carrière professionnelle. Pour l’instant, je n’ai pas été démentie.
Ainsi, en traduction, la capacité d’adaptation ne peut être négligée. Il n’est donc jamais trop tôt pour commencer à pratiquer cette schizophrénie linguistique.
Quelques implications pour les institutions de formation à la traduction
Pour cette raison, il est également souhaitable qu’une institution proposant une formation en traduction recrute des professeurs venant d’horizons très divers et que chaque cours de traduction, dans l’idéal, soit donné par un professeur différent. Un tel principe est un gage de qualité, car il serait problématique qu’une formation dans ce domaine tende à formater les étudiants en leur imposant un ensemble de normes linguistiques trop restreint ou partial, les empêchant d’acquérir la flexibilité requise pour intégrer le marché du travail avec fluidité et de se munir de toutes les armes essentielles pour poursuivre une carrière diversifiée et florissante.
La multiplicité des points de vue, des manières d’enseigner et des bagages professionnels et linguistiques des enseignants engendre un enrichissement des repères linguistiques des étudiants et les amène à renforcer leur esprit critique, ce qui n’est pas un luxe pour un établissement qui entend proposer une formation de qualité. Dans le même temps, il faut que les étudiants sachent tirer parti des avantages qu’offre une telle variété d’usages et de normes et intègrent cet aspect subjectif dans leur façon d’aborder leur travail, afin d’apprendre à s’adapter rapidement et spontanément à tous les clients pour lesquels ils auront l’occasion de traduire.
La flexibilité, une des clés de la réussite
En fin de compte, ceux qui s’en sortiront probablement le mieux sont ceux qui accepteront de se dépouiller, sur le pas de la porte, de leurs idées préconçues, de leur vision du bon usage et de leur style, tout du moins en partie, qui sauront mouler leur écriture en fonction des besoins et attentes de chacun de leurs clients. La flexibilité n’est pas un luxe pour les traducteurs, mais une nécessité – il n’est jamais trop tôt pour l’embrasser.