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La conjonction « car » et son tiroir grammatical

On apprend à l’école que « car » est une conjonction de coordination, au même titre que « ou », « et », « donc », « or » et « ni ». Savoir dans quelle catégorie ranger chaque pièce du langage n’est pas un simple raffinement d’organisation, comme il peut pourtant nous sembler lorsque nous sommes sommés d’apprendre par cœur des listes arides sans ancrage pratique.

Mais ces catégories ont une fonction essentielle : elles nous permettent, lorsque nous nous retrouvons face à des incertitudes en plein milieu d’une aventure linguistique, de déduire des règles d’écriture, et notamment des règles syntaxiques, à partir du comportement grammatical des autres entités comprises dans la catégorie qui nous intéresse et de sa comparaison avec le fonctionnement d’entités relevant de catégories voisines, mais bien distinctes. Ces connaissances métalinguistiques sont un guide précieux qui peut nous permettre de dissiper le brouillard bien plus efficacement, grâce au souffle de notre esprit, que si nous devions perdre notre temps à chercher, sur un support externe, la règle spécifique qui s’applique dans un cas donné.

J’ai pris pleinement conscience de l’utilité de la catégorie des conjonctions de coordination il y a quelques jours, lorsque j’ai dû, dans une de mes traductions, coordonner deux propositions causales introduites par « car ». Doit-on, comme pour les cousins sémantiques de cette conjonction, « parce que » et « puisque », introduire la deuxième proposition par « que » ? Ou devrait-on répéter « car » pour chaque proposition coordonnée ? Ou ne faut-il rien ajouter ?

Concrètement, faut-il écrire 

Il restait auprès d’elle, car elle était malade et qu’il l’aimait.
Il restait auprès d’elle, car elle était malade et car il l’aimait.
Il restait auprès d’elle, car elle était malade et il l’aimait. 

La réponse se trouve dans notre petit tiroir. Si nous avons bien rangé « car » à sa place, dans le tiroir des conjonctions de coordination, le doute n’est alors plus permis. Cette conjonction se conduit nécessairement comme tous ses compagnons de tiroir et ne peut donc être utilisée comme ses cousins sémantiques, qui se trouvent dans le tiroir d’à côté, celui des conjonctions de subordination.

Les conjonctions de coordination « mais », « ou », « et », « donc », « or », « ni » et « car », comme leur nom l’indique, coordonnent des éléments du même type et de même valeur. Ainsi, « car » est toujours précédée d’une proposition indépendante et introduit nécessairement une autre proposition indépendante, contrairement aux conjonctions de subordination, comme « parce que » et « puisque », qui introduisent des propositions subordonnées (et donc dépendantes de la phrase principale).

Ainsi, lorsque « parce que » ou « puisque » introduisent deux propositions coordonnées, la deuxième proposition est obligatoirement introduite par « que ». Eh oui ! Il faut bien que la relation de subordination soit marquée par un élément qui rappelle cette relation de dépendance ; la langue française aime la rigueur, la discipline et la hiérarchie. 

Avec « car », en revanche, nul besoin de « que ». La relation entre la première proposition et la proposition coordonnée avec « car » n’est pas une de dépendance. La proposition introduite par « car » est libre et ne se laisse pas subjuguer par un « que » mal avisé. Preuve en est, la conjonction « car » se permet même parfois de trôner emphatiquement en début de phrase, après un point timide, séparant ainsi vigoureusement la proposition qu’elle introduit de celle qui la précède.

Ainsi, de même qu’avec « et », « donc » et le reste de la clique, point de « que », il suffit de suivre les règles qui s’appliquent à la coordination d’éléments avec « et ». On dira donc : 

Il restait auprès d’elle, car elle était malade et il l’aimait.
Il restait, car il l’aimait et la désirait.
Il se leva enfin, car il ne supportait plus la sonnerie de son réveil, et la bonne odeur du repas tout chaud venait lui chatouiller les narines.
Il est sorti, car il devait faire des courses, voulait rendre visite à son amie Lauriane et espérait pouvoir profiter encore des derniers rayons de soleil.