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Quels sont les effets de la musique sur la performance cognitive et la concentration ?

Sommaire

La musique nous enchante, nous motive, nous stimule, nous fait voyager, nous berce et nous émerveille. La plupart du temps, nous l’associons à nos instants de détente, à nos moments de divertissement et de plaisir. Mais, toujours plus nombreux, nous écoutons aussi de la musique lorsque nous étudions, travaillons, pensons… En somme, lorsque nous devons fournir un quelconque effort cognitif.

Pourtant, par sa nature – c’est avant tout un instrument de plaisir et de détente –, la musique ne serait-elle pas plutôt un facteur de distraction, un élément qui viendrait perturber notre performance et notre concentration ? Moi qui me laisse très facilement emporter par le rythme – j’adore danser, c’est viscéral – et qui ne peux m’empêcher de fredonner lorsqu’un air connu se fait entendre, comment écouter de la musique pourrait-il m’aider à travailler de manière efficace ?

C’est ce que j’ai longtemps pensé. Mais à force d’entendre ou de voir nombre de mes collègues, connaissances ou autres influences utiliser leurs casques et se laisser bercer par quelque douce mélodie pour mieux se plonger dans leur travail et se créer une bulle de concentration, j’en suis venue à me demander si je ne passais pas là à côté d’un élément précieux qui pourrait améliorer mes performances cognitives.

Friande de découvertes et en quête de la concentration absolue, j’ai décidé d’expérimenter avec différents styles et différents types de musiques. Et finalement, après avoir tâtonné quelque peu, j’ai moi aussi rejoint le club pas du tout exclusif de celles et ceux qui se plongent dans leur forteresse musicale pendant qu’ils produisent un effort cognitif. Je n’ai pas cherché à forger cette habitude ; elle s’est tout de suite stabilisée. Pourquoi ? Parce que j’ai moi aussi ressenti les bénéfices de cette nouvelle pratique sur ma concentration et ma motivation à travailler.

Les bénéfices perçus de la musique sur notre performance cognitive

Dans une récente étude observationnelle (Goltz et Sadakata, 2021) menée auprès d’étudiant·e·s et de chercheur·euse·s universitaires, les raisons invoquées pour écouter de la musique en travaillant ou en révisant étaient les suivantes :

  • renforcement de la capacité à se concentrer ;
  • amélioration de l’humeur ;
  • renforcement de la motivation et de la capacité à rester éveillé (barrière contre la fatigue) ;
  • effet relaxant et oubli du stress ;
  • amélioration de la compréhension écrite et facilitation de la lecture.

Avec une liste aussi prometteuse, qui n’aurait pas envie d’au moins mettre à l’épreuve une telle pratique ! S’il est réellement possible d’améliorer tous ces aspects rien qu’en écoutant de la musique – autrement dit, sans effort –, c’est du pain béni ! Alors, serait-ce la recette miracle ?

Mon esprit cartésien et scientifique éveillé par mes expériences et les pistes explorées dans cette étude, et ma curiosité piquée, je me suis armée de mes outils de spéléologue et plongée dans les revues scientifiques afin d’excaver, de décortiquer et de synthétiser les recherches qui concernent les effets de la musique sur la performance cognitive, et notamment sur la concentration. Entre autres, j’ai voulu élucider les questions suivantes :

Écouter de la musique en étudiant, en travaillant ou en exécutant des tâches demandant un certain niveau d’effort cognitif permet-il réellement d’améliorer notre performance intellectuelle ? Si oui, comment cela s’explique-t-il ? Quels sont les mécanismes en jeu ?

Différents types de mélodies produisent-ils différents effets sur notre concentration ou notre performance cognitive ? Si oui, quels facteurs – rythme, volume, mode – jouent-ils un rôle ?

Dans cet article, je m’intéresse donc particulièrement aux effets de la musique sur la performance cognitive en général, notamment par son incidence sur la concentration, l’humeur et l’éveil.

Et comme ce blog est en grande partie consacré à la traduction, je vous réserve les effets de la musique sur la traduction, en particulier sur la compréhension écrite, la qualité des textes cibles produits et la créativité linguistique, pour un prochain article.

Par ailleurs, je me suis uniquement penchée sur les effets de l’écoute de la musique sur nos performances cognitives pendant que nous travaillons, et pas avant de nous plonger dans une tâche ni sur les effets à long terme d’une exposition à la musique durant l’enfance (par exemple, par des leçons de musique régulières ou une éducation musicale poussée).

Musique et concentration

S’il y a bien une compétence qu’il est essentiel de posséder pour mener toute entreprise intellectuelle efficacement, c’est la capacité de se concentrer sur la tâche en cours pour une période prolongée. Maîtriser l’art de la concentration, c’est se doter des armes fondamentales pour fournir une performance cognitive élevée, peu importe le domaine ou la tâche. Si donc la musique influence bel et bien notre capacité à nous concentrer, il vaut la peine de déterminer dans quelle mesure elle facilite ou perturbe notre concentration.

Voici les deux grandes théories qui peuvent nous donner des pistes sur les mécanismes entrant en jeu dans l’influence que joue la musique sur notre concentration.

Le modèle des ressources attentionnelles de Kahneman (1973)

D’après cette théorie, proposée par Daniel Kahneman en 1973, nos ressources attentionnelles, c’est-à-dire notre capacité à distribuer notre attention sur divers stimuli et activités mentales, sont limitées. Si nous concentrons toutes nos ressources attentionnelles disponibles sur la tâche en cours et les informations nécessaires pour effectuer celle-ci, nous devrions pouvoir fournir une performance optimale. Si d’autres informations non pertinentes pour la tâche en cours, comme de la musique, viennent s’y ajouter, notre performance ne devrait pas en pâtir pour autant qu’il nous reste assez de ressources disponibles pour traiter ces nouvelles informations. En revanche, si la totalité de nos ressources attentionnelles est déjà accaparée par la tâche en cours, tout stimulus supplémentaire viendra perturber notre performance, car nos ressources attentionnelles ne suffisent pas pour traiter toutes les informations qui se présentent. De même, si la charge cognitive de la tâche entreprise dépasse notre capacité totale, cela signifie que nous ne disposons pas des ressources nécessaires pour gérer l’intégralité des informations pertinentes. Nous ne serons donc pas en mesure de fournir une performance de haut vol.

Dans ce modèle, la musique devient un élément perturbateur lorsque la (quasi-)totalité de nos ressources attentionnelles est déjà mise à contribution pour gérer la tâche en cours. La musique constitue une information supplémentaire qui accapare une partie de nos ressources attentionnelles et réduit donc l’attention que nous pouvons consacrer à la tâche en cours, entraînant une performance de moindre qualité. Notre attention est partagée, nous rendant moins efficaces.

Vous l’aurez compris, ce modèle explique les effets négatifs potentiels de la musique sur la performance cognitive et la concentration. C’est d’ailleurs la raison principale évoquée par les personnes interrogées dans l’étude de Goltz et Sadakata (2021) qui n’aiment pas écouter de la musique en étudiant. Ce serait principalement les musiques à paroles qui les distrairaient ou les perturberaient.

Cette théorie explique également pourquoi écouter de la musique avec un volume élevé réduit davantage la performance que lorsque le son est moins fort (Thompson et al., 2012). Plus le volume est élevé, plus il devient difficile de ne pas prêter attention à la mélodie jouée, qui accapare une plus grande part de nos ressources, alors qu’un volume plus faible libère une partie de notre attention, qui peut alors se concentrer sur d’autres informations plus pertinentes pour notre tâche.

Mais ce modèle reste limité, puisqu’il ne rend compte que des effets négatifs, ou neutres, de la musique sur la performance cognitive. Que dire donc des effets bénéfiques de la musique sur la concentration, perçus et ressentis par nombre d’entre nous ? Comment expliquer que certain·e·s considèrent la musique comme un élément perturbateur, alors qu’elle en aide d’autres à se concentrer et à mieux étudier ?

La théorie du conflit-distraction de Baron (1986)

Cette théorie proposée par Robert Baron en 1986 a ensuite été adaptée pour rendre compte de l’interaction entre le niveau d’attention nécessaire à l’exécution d’une tâche et l’effet de la musique sur celui-ci (Gonzalez & Aiello, 2019). Comme dans le modèle de Kahneman, lorsque nous effectuons une tâche simple ou de difficulté moyenne, seule une partie de nos ressources attentionnelles est requise pour traiter les informations relatives à la tâche en cours. Cette situation engendre une sous-stimulation de notre attention, laissant à celles de nos ressources qui sont désœuvrées le loisir de rechercher un autre objet, d’autres stimuli sur lesquels se concentrer. C’est ainsi que notre esprit, détestant l’oisiveté, aurait donc tendance à s’évader pour se fixer sur d’autres points d’attention, qui pourraient au fur et à mesure accaparer une trop grande quantité de nos ressources et finalement créer un conflit dans l’allocation de celles-ci entre la tâche en cours et d’autres informations non pertinentes. La musique apparaît alors comme un moyen d’éviter l’ennui et d’empêcher notre esprit de s’évader de manière incontrôlée en lui fournissant une source de stimulation stable pour occuper nos ressources attentionnelles disponibles. Sur une tâche complexe, en revanche, comme dans le modèle précédent, toute notre attention doit être engagée sur la tâche à exécuter. Écouter de la musique pourrait alors surstimuler nos capacités, créant à nouveau un conflit attentionnel et réduisant notre performance cognitive.

Variations en fonction de la complexité de la tâche ou de la maîtrise individuelle

Ce modèle est intéressant puisqu’il permet d’expliquer certains résultats apparemment contradictoires des études menées sur l’effet de la musique sur la performance et la concentration et de prendre en compte certaines différences individuelles.

Comme mentionné un peu plus haut, lorsqu’on demande à des étudiant·e·s ou à des chercheur·euse·s universitaires si la musique les aide à se concentrer ou les distrait, les réponses sont partagées et varient parfois en fonction du type de musique écouté (Goltz et Sadakata, 2021). Par exemple, la musique à paroles contient plus d’informations à traiter (les sons et la mélodie d’une part, les paroles d’autre part), ce qui pourrait accaparer une plus grande partie de notre attention et nous priver de ressources pour effectuer des tâches moyennement difficiles à très complexes.

On peut aussi imaginer que les individus n’ont pas tous la même capacité cognitive, c’est-à-dire la même quantité de ressources attentionnelles, ce qui peut expliquer pourquoi la musique n’a pas nécessairement le même effet sur deux personnes qui exécutent une tâche identique. Même si les deux individus engagent la même quantité de ressources pour effectuer leur tâche, si l’un dispose au total de moins de ressources attentionnelles, il se peut que toutes ses ressources soient déjà focalisées sur la tâche en cours et qu’il ne puisse pas traiter des informations musicales supplémentaires sans engendrer un conflit attentionnel.

Ces différences individuelles peuvent aussi s’expliquer par les différences individuelles dans la maîtrise d’une tâche. Plus une tâche nous est familière ou plus on la maîtrise, plus la musique de fond semble bénéfique. En effet, lorsque nous découvrons pour la première fois une tâche, celle-ci peut nous paraître très complexe, nous obligeant à dévouer une très grande partie de nos ressources à son apprentissage (Cho, 2015). Au fur et à mesure que nous affinons nos compétences relatives à l’exécution de cette tâche, nous gagnons en efficacité et utilisons ainsi petit à petit de moins en moins de ressources attentionnelles pour effectuer les mêmes opérations. Nous libérons ainsi une partie de notre attention, que nous pouvons alors occuper en écoutant de la musique. C’est aussi ce qui a été observé dans l’étude de Goltz et Sadakata (2021) : plus une tâche est complexe, moins les personnes ont tendance à écouter de la musique ou plus elles deviennent sélectives concernant le type de musique qu’elles écoutent. Et comme la maîtrise d’une tâche varie en fonction des individus, ce modèle explique aisément pourquoi on observe des variations dans les pratiques d’écoute musicale entre des individus effectuant une même tâche.

Un modèle incomplet

Il semble toutefois que d’autres facteurs que la seule interaction avec nos ressources attentionnelles entrent en jeu dans l’effet produit par la musique sur la performance. Les préférences musicales des individus (Huang et Shih, 2011 ; Mori et al., 2014) et certains paramètres musicaux semblent également jouer un rôle, ce que les deux modèles attentionnels présentés ci-dessus ne permettent pas d’expliquer.

Par exemple, dans l’étude observationnelle de Goltz et Sadakata (2021), la majorité des personnes interrogées ont affirmé que les airs calmes et sans paroles ou la musique classique ne les perturbaient pas, mais qu’ils étaient distraits par des mélodies jazz ou pop, bien rythmées, ou des musiques à paroles. De plus, la concentration n’est pas la seule raison évoquée par celles et ceux qui écoutent de la musique en travaillant. Beaucoup mentionnent un autre aspect non négligeable : la musique améliorerait leur humeur et leur motivation et les rendrait ainsi plus efficaces. Il nous faut donc nous tourner vers une troisième théorie si l’on souhaite tenter d’établir une cartographie plus ou moins complète des mécanismes à l’œuvre.

La théorie de l’humeur et de l’éveil

Cette théorie suggère que la musique n’a en réalité qu’une incidence indirecte sur notre performance, car elle modulerait d’abord notre humeur et notre niveau d’éveil (arousal en anglais), qui auraient à leur tour un effet sur notre concentration et notre performance (Schellenberg 2005 ; Husain et al., 2002).

L’intérêt de cette troisième théorie est qu’elle fait intervenir deux nouveaux facteurs dans l’équation, l’humeur et le niveau d’éveil, qui non seulement varient fortement entre les individus en fonction de leur constitution physiologique ainsi que de leur personnalité, mais qui fluctuent aussi à court terme chez un seul et même individu. Une telle combinaison de variations interindividuelles et intraindividuelles permet de mieux rendre compte des différences observées en fonction des personnes, du contexte, mais aussi des types de musique.

Car si la musique influe bel et bien sur notre humeur et notre niveau d’éveil, elle n’agit pas sur ceux-ci de manière uniforme ; diverses caractéristiques musicales produisent différents effets chez les individus, et nos préférences personnelles viennent s’ajouter pour réguler ces incidences. Les facteurs qui entrent en jeu comprennent :

  • le rythme (rapide, modéré, lent) ;
  • le mode (majeur ou mineur) ;
  • nos préférences personnelles (est-ce que la musique qu’on écoute nous plaît ou non ?) ;
  • notre personnalité, en particulier notre degré d’introversion ou d’extraversion.

Un niveau d’éveil optimal pour se concentrer

L’éveil correspond à notre degré d’activation physiologique ou à l’intensité de notre réponse émotionnelle à un stimulus (Husain et al., 2002). Le niveau d’éveil détermine notre capacité à réagir adéquatement aux stimuli que nous percevons en fonction de notre environnement et de l’exigence de la tâche à effectuer. Il se traduit par des phénomènes physiologiques associés à une sensation physique : en général, plus notre niveau d’éveil est élevé, plus nous avons de l’énergie à dépenser.

Pour atteindre un niveau de performance optimal et réussir à se concentrer intensément sur la tâche en cours, il est nécessaire de trouver un équilibre entre excitation (niveau d’éveil élevé) et repos (niveau d’éveil bas). Lorsque nous nous trouvons dans un état de forte excitation, ou de surstimulation, nous nous laissons facilement distraire par le moindre stimulus et sommes incapables de nous concentrer sur la tâche en cours. À l’extrême inverse, si nous sommes trop calmes, nous ne déployons pas suffisamment d’efforts pour nous engager pleinement dans la tâche à effectuer.

Ainsi, selon la loi de Yerkes-Dodson, notre performance cognitive est optimale lorsque nous parvenons à stabiliser notre degré d’éveil à un niveau moyen. Notre niveau d’éveil doit donc être méticuleusement régulé si nous entendons atteindre un degré de concentration optimal.

Influence de différents paramètres musicaux sur le niveau d’éveil

Justement, il se trouve que la musique est un outil que nous pouvons manipuler pour tenter de réguler notre niveau d’éveil et l’amener à un seuil optimal, afin de favoriser notre concentration et notre performance sur une tâche. En jouant sur différents paramètres musicaux en fonction du contexte et de la tâche en cours, nous pourrions donc choisir, à tout moment, la bonne mélodie pour nous aider à nous concentrer optimalement, quelles que soient les conditions.

On sait par exemple que les airs rapides ou rythmés augmentent l’éveil, alors que les airs lents le réduisent (Husain et al., 2002). L’étude observationnelle de Goltz et Sadakata (2021) a révélé que les mélodies rythmées et entraînantes n’étaient pas privilégiées par les personnes désireuses de se concentrer. Une autre étude a par ailleurs montré que l’écoute de musiques rapides réduisait les performances de lecture (Thompson et al., 2012). Ainsi, d’après ce modèle, on peut considérer que des airs trop rythmés auraient tendance à nous surstimuler, c’est-à-dire à augmenter notre niveau d’éveil au-delà du seuil optimal, réduisant ainsi notre performance.

Il a aussi été observé qu’en général, les musiques qui nous plaisent ont un effet stimulant qui permettrait d’élever notre niveau d’éveil à un seuil optimal, favorisant la concentration.

Effets de l’humeur sur la performance

L’humeur correspond à l’état émotionnel (relativement) permanent d’une personne, par opposition aux émotions distinctes et temporaires qui nous rendent visite au fil de la journée, comme la joie, la peur, la colère, etc.

Il est généralement admis que ces émotions influencent particulièrement la cognition – la pensée et le raisonnement (Husain et al, 2002). Et nous en avons d’ailleurs tous déjà probablement fait l’expérience : lorsque nous sommes de bonne humeur, nous sommes plus efficaces sur des opérations cognitives telles que la prise de décisions complexes, la catégorisation, la résolution de problèmes, le tri ou encore, les heuristiques. À l’inverse, l’ennui et la mauvaise humeur dégradent notre performance.

C’est là que la musique entre en jeu. Outre son incidence sur la capacité de concentration, l’influence positive de la musique sur l’humeur est une des raisons principales invoquées par les personnes interrogées dans l’étude de Goltz et Sadakata (2021) pour écouter de la musique en étudiant. Parce que la musique permettrait d’améliorer la motivation et de dissiper l’ennui, elle nous aiderait à nous plonger dans une tâche avec plus d’entrain et faciliterait le démarrage d’une tâche exigeante ou peu stimulante.

Influence de différents paramètres musicaux sur notre humeur

Le premier paramètre musical qui influe clairement sur notre humeur est le mode, qui correspond à l’atmosphère créée par la tonalité générale d’une musique. La réalité musicale est certes plus complexe, mais globalement, on peut dire que le mode majeur donne naissance à des mélodies plutôt joyeuses ou festives ; le mode mineur, à des airs tristes ou mélancoliques. Sans surprise, donc, les mélodies en mode majeur sont celles qui ont le plus de chance de nous mettre de bonne humeur d’entrée.

Les préférences personnelles jouent aussi, évidemment, un rôle prépondérant. Les mélodies qui nous mettent de bonne humeur sont celles qui nous plaisent et nous ravissent nous, et pas nécessairement quelqu’un d’autre. Peu importe qu’un air soit fondamentalement joyeux et qu’il coche toutes les autres cases (rythme modéré, pas de paroles, etc.), s’il n’est pas doux à nos oreilles, notre performance risque fortement d’en pâtir. (Johansson et al., 2012 ; Goltz et Sadakata, 2021).

Prise en compte de la complexité des personnalités

Ce modèle est pour l’instant le plus plausible qui ait été proposé pour rendre compte des effets de la musique sur la performance. En effet, en évitant l’écueil d’une influence directe de la musique sur la concentration et en insistant sur l’humeur et l’éveil – des paramètres variant fortement entre les individus, mais aussi au sein d’un même individu au cours du temps – il permet de rendre compte à la fois des répercussions positives et négatives de la musique de fond sur la performance cognitive, mais aussi des incohérences apparentes révélées par diverses études.

Parce que même s’il existe bien un niveau d’éveil optimal, généralement modéré, favorable à la concentration, ce seuil varie tout de même entre les individus (Mori et al., 2014). Mon niveau d’éveil optimal n’est sans doute pas le même que le vôtre. Ce seuil optimal serait en partie dû à notre personnalité, probablement innée et acquise, et notamment à où nous nous situons sur le spectre introversion-extraversion. Cela reste une généralisation, mais il semble que plus une personne est extravertie, plus elle a besoin d’être stimulée pour réussir à se concentrer (ce qui correspondrait à une zone d’éveil optimale plus élevée). Certaines musiques très rythmées ou entraînantes peuvent donc stimuler certains individus de façon optimale, mais en surexciter d’autres qui sont plus introvertis, réduisant ainsi leur performance.

Et bien sûr, la variation des effets observés peut simplement s’expliquer par nos préférences. S’il est reconnu que les musiques agréables et plaisantes améliorent aussi bien le niveau d’éveil que l’humeur, encore faut-il s’entendre sur ce qu’est une musique agréable et plaisante. Des goûts et des couleurs, on ne discute pas. La même musique peut être appréciée par un individu, détestée par un autre ; le premier en ressort motivé, le secondagacé, et il n’est pas difficile de deviner lequel des deux produira la meilleure performance.

Une combinaison de théories et de facteurs

Même si cette dernière théorie semble très séduisante et expliquer la plupart des habitudes personnelles et des résultats de recherche obtenus, les effets de la musique sur l’éveil et l’humeur ne sont probablement pas les seuls facteurs qui entrent en jeu. En effet, certaines études n’ont trouvé aucun lien entre la musique de fond écoutée durant une période de travail ou d’étude et l’humeur et le niveau d’éveil.

En psychologie, il vaut mieux rester prudent lorsqu’on cherche à expliquer des phénomènes observés. Notre cerveau est une machine très complexe sur lequel agissent de nombreux facteurs – physiologiques, environnementaux, liés à notre personnalité,… Il est donc probable que l’influence de la musique sur notre performance soit en réalité due à différents mécanismes, dont rendent compte, en partie du moins, les trois modèles présentés ci-dessus.

Par exemple, comme on l’a vu, la théorie du conflit-distraction est la seule qui puisse fournir une explication des changements de pratique relatifs à l’écoute de musique de fond en fonction de la complexité des tâches exécutées. Ainsi, notre capacité cognitive et nos ressources attentionnelles, aussi bien que notre humeur et notre niveau d’éveil, influencent sans doute dans leur ensemble notre décision d’écouter de la musique et, surtout, le type de musique que nous choisissons d’écouter lorsque nous travaillons.

Quelques autres pistes

Enfin, nous n’avons probablement pas couvert la totalité des raisons qui pourraient expliquer pourquoi nous aimons écouter de la musique lorsque nous étudions, travaillons ou produisons un effort cognitif.

En effet, l’étude de Gotz et Sadakata a également montré que certaines personnes recourent à la musique pour masquer des bruits environnants gênants ou désagréables.

Je suis également tombée sur un autre élément intéressant dans un épisode du Podcast The Accidental Creative, où l’hôte, Todd Henry, explique que juste avant d’entamer une séance de travail exigeante sur le plan cognitif, par exemple un travail d’écriture, il lance toujours la même musique, qui agit comme une sorte de déclencheur l’invitant à se plonger dans une bulle de concentration intense. C’est d’ailleurs une des techniques fondamentales présentées par James Clear, dans son ouvrage Atomic Habits, pour créer et cimenter une nouvelle habitude : associer la pratique que nous souhaitons renforcer à un élément externe, un déclencheur, sur lequel nous avons le contrôle et qui indique à notre cerveau qu’il est l’heure d’exécuter l’action prédéfinie.

De l’importance de l’observation personnelle

Sur la base des nombreuses études menées sur le sujet, il semble raisonnable d’affirmer que la musique peut en effet nous aider à nous concentrer, à améliorer notre humeur et à atteindre un niveau d’éveil optimal pour produire une performance cognitive de haut vol. Ce qui en revanche est davantage sujet à discussion est le type de musique le plus favorable à la concentration et à la performance.

En règle générale, comme nous l’avons vu, les mélodies joyeuses, positives et qui nous plaisent particulièrement sont celles qui ont le plus d’effet sur notre niveau d’éveil et notre humeur à court terme (Schellenberg, 2005). S’agissant des préférences musicales, les personnes qui écoutent de la musique de fond en travaillant ou en étudiant indiquent le plus souvent écouter des musiques calmes ou des airs classiques ou jazz (Goltz et Sadakata, 2021).

Ces résultats généraux peuvent nous donner des pistes d’expérimentation personnelles. Les préférences, le contexte et notre personnalité influencent énormément nos choix de musique et nos besoins. Pour utiliser la musique à bon escient, il nous faut donc nous armer de nos lunettes de scientifiques et nous observer nous-mêmes pour découvrir ce qui fonctionne pour nous, et pas nécessairement pour autrui. C’est seulement grâce à cette exploration personnelle que nous pouvons affiner notre compréhension de nous-mêmes et renforcer nos compétences et nos performances de manière optimale.

Sources:

1. Avila, C., Furnham, A. & McClelland, A. (2012). The influence of distracting familiar vocal music on cognitive performance of introverts and extraverts. Psychology of Music. 40, 84–93.

2. Baron, Robert S. (1986). Distraction-conflict theory: progress and problems. Advances in Experimental Social Psychology. 19, pp. 1-39.

3. Cho, Hyeyoung (2015). Is Background Music a Distraction or Facilitator? An Investigation on the Influence of Background Music in L2 Writing. Multimedia-Assisted Language Learning. 18(2), pp. 37-58.

4. Clear, James (2018). Atomic Habits: An Easy& Proven Way to Build Good Habits & Break Bad Ones. Avery. 320 p.

5. Goltz, Franziska et Sadakata, Makiko (2021), Do you listen to music while studying? A portrait of how people use music to optimize their cognitive performance. Acta Psychologica, vol. **220.

6. Gonzalez, Manuel F. & Aiello, John R. (2019). More than meets the ear: investigating how music affects cognitive task performance. Journal of Experimental Psychology: Applied. 25(3), pp. 431-444.

7. Huang, R.-H. & Shih, Y.-N. (2011). Effects of background music on concentration of workers. Work, 38, 383–387.

8. Husain et al. (2002). Effects of Musical Tempo and Mode on Arousal, Mood, and Spatial Abilities. Music Perception. 20(2), pp. 151-171.

9. Johansson, R., Holmqvist, K., Mossberg, F. & Lindgren, M. (2012). Eye movements and reading comprehension while listening to preferred and non-preferred study music. Psychology of Music. 40, pp. 339–356.

10. Kahneman, Daniel (1973). Attention and Effort. Prentice-Hall Inc.: Englewood Cliffs, Jersey, 246 p.

11. Mori, F., Nagishi, F. A. & Tezuka, T. (2014). The effect of music on the level of mental concentration and its temporal change. In Proceedings of the 6th international conference on computer supported education. SciTePress, (1) , pp. 34-42.

12. Nantais, K. M. & Schellenberg, E. G. (1999). The Mozart effect: An artifact of preference. Psychological Science. 10, 370–373.

13. Schellenberg, E. Glenn (2005). Music and Cognitive abilities. American Psychological Society. 14(6), pp. 317-320.

14. Thompson, W. F., Glenn Schellenberg, E. & Letnic, A. K. (2012). Fast and loud background music disrupts reading comprehension. Psychology of Music. 40, pp. 700–708.