Un statut ou des statuts ?
Entre norme et usage, il faut trancher
Lorsqu’on parle des règles qui définissent les buts, les principes fondamentaux, la structure et le fonctionnement général d’une personne morale, telle qu’une organisation ou une entreprise, doit-on dire « le statut » ou « les statuts » ?
Du côté des dictionnaires, point de doute. Le Littré, l’Académie française et le TLFi sont unanimes, le pluriel doit être employé lorsqu’on se réfère à l’ensemble des règles qui déterminent le fonctionnement d’une personne morale, un statut ne constituant qu’une seule de ces règles. On dira donc qu’on a dressé, établi, rédigé ou déposé les statuts d’une entreprise.
Malgré cette harmonie normative, j’ai récemment fait l’erreur de demander aux destinataires d’une lettre que je devais traduire de se référer au statut d’une association. Heureusement, ma réviseuse, attentive et pas dupe, a corrigé cette coquille et a ajouté le « s » manquant. Intriguée, je me suis empressée d’aller consulter les dictionnaires précités pour déterminer s’il s’agissait de la variante reconnue comme correcte ou si les deux usages coexistaient, car j’étais convaincue d’avoir déjà lu le mot « statut » – au singulier donc – dans cette acception. À la lecture des définitions données, j’ai bien dû me rendre à l’évidence : le singulier est dans ce contexte indéfendable.
Mais alors, pourquoi étais-je si persuadée que l’emploi du singulier était correct ? J’ai déjà travaillé pour quelques organisations internationales et ai déjà traduit ce mot, dans cette acception-là, à plusieurs reprises. Si tous les dictionnaires imposent l’usage du pluriel, impossible qu’aucun de mes précédents réviseurs n’ait repéré une erreur si grossière. Et s’ils m’avaient déjà corrigé cette erreur, comment ne m’en serais-je pas souvenue ?
Troublée, je me suis décidée à aller jeter un rapide coup d’œil aux statuts de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), où j’ai effectué un stage de quatre mois en 2020. Et c’est là que tout s’est éclairé… Sans aucun complexe, l’AIEA fait fi des règles prônées par les divers dictionnaires. L’AIEA a un seul et unique statut, qui fait tout de même vingt pages – un peu long pour une seule règle… Dans ce cas, il n’y a pas à tergiverser. Si on est amené à traduire, pour une organisation donnée, des documents qui font référence à son texte fondamental, on doit indiquer l’intitulé officiel exact de ce texte, même si celui-ci va à l’encontre de toutes les règles de la langue française.
Cet exemple démontre bien que même les règles les plus reconnues, semblant mettre tout le monde d’accord, ne sont jamais universelles. Il se trouvera toujours un cas dans lequel il faudra consentir à défier la norme. Parce qu’un traducteur n’est pas un auteur qui n’en fait qu’à sa tête, mais qu’il est un médiateur, certes au service de la langue française, mais aussi au service d’un client.
On peut toujours tenter de convaincre notre client d’utiliser une formulation plus « correcte » qu’il rechigne à accepter, lui proposer de corriger des erreurs de grammaire ou d’orthographe décelées dans ses mémoires de traduction, ou le persuader de se débarrasser d’anglicismes inutiles. Mais en définitive, c’est la volonté du client qui prime.
Se conformer aux conventions rédactionnelles, aux usages linguistiques et à la terminologie spécifiques de notre client ou de notre organisation, parfois tout à fait arbitraires, quelquefois « faux » selon les règles de grammaire et d’orthographe communément admises et prônées, n’est pas une faiblesse ni une lâcheté, mais un devoir inhérent à notre profession, qui est fondamentalement une activité de service. Sans clients, nous n’existons pas.
Au lieu d’imposer à nos clients nos idées sur ce qu’est un bon texte, privilégions le dialogue et le conseil, et sélectionnons nos clients en amont.